Zem : une belle rebelle

Article : Zem : une belle rebelle
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19 mai 2016

Zem : une belle rebelle

 

zem
Photo credit Fred Baele: https://fredasketch.blogspot.com/p/blog-page_2.html

Zem : une belle rebelle

Lomé et Cotonou ont une triste langue commune depuis quelques années : le « Zem » ou le « Zemidjan ». Je devine déjà la question de beaucoup de lecteurs en cet instant précis : « C’est quoi zem ? » « C’est qui zem ? », etc.  Chers lecteurs, « Zem » est un moyen  de transport au Togo et au Bénin, à l’image d’Uber en France. Il s’agit d’un conducteur de moto au nom de « zemidjan-man ». Ce dernier reçoit de l’argent pour transporter n’importe qui, n’ importe où, n’importe quand et n’importe comment. Oui ! Ces derniers termes sont inquiétants, je sais. Depuis un moment, le nombre des travailleurs dans ce secteur augmente de manière exponentielle. La question qui mérite d’être posée dans ce billet est : qu’est-ce qui explique la prolifération de ce phénomène ?

  1. Mon aventure avec un « zem »

Il est six heures du matin. Comme chaque lundi, je vais faire mes courses. Mais c’est un matin pas comme les autres. Aujourd’hui, je sors sans mon engin. Je décide donc de prendre un « zem ». J’appelle un conducteur, on se met d’accord sur le prix et l’aventure commence. Je suis étonné par l’enthousiasme de ce conducteur qui se présente et engage la conversation avec moi. Ma première question est spontanée : « Vous avez l’air très content ce matin Monsieur, aimez-vous votre travail à ce point ? » Cette question nous plonge dans un labyrinthe indissociable. Comme un moine qui annonce le début d’une méditation, le silence s’impose. Après quelques minutes de silence, M. Kokou, comme revenu d’un ailleurs lointain, me répond enfin à cœur ouvert : « Je conduis cette moto pour survivre, ce travail pour moi est passager. »

Je me rends compte illico que je viens de gâcher la bonne humeur de ce Monsieur qui, au début du trajet, était immergé dans une folle joie. Cette fois, j’en veux à ma curiosité, à mon étonnement, à mon indiscrétion. Mais très vite, il me rassure par ces mots : « je médite sur cette question depuis toujours […] et pour ne pas devenir fou, j’essaie de penser à autre chose. » Je pousse un ouf de soulagement je regarde droit dans ses yeux alors qu’il continue : « mon travail, c’est comme une maîtresse que tu veux entretenir pour un temps et après, tu t’emballes complètement. » Le Monsieur m’explique qu’il voulait tout simplement arrondir une fin du mois d’avril 2013… et  voilà où nous en sommes.  Trois ans dans un métier qu’il déteste de tout son cœur : quelle torture ! Le cas de M. Kokou est-il un cas isolé ? Probablement pas.

  1. La situation globale

Dire qu’on va présenter la situation globale des « Zem » de tout un pays serait prétentieux. Cependant, dans la plupart des cas, les hommes et jeunes garçons qui font ce métier, le font car ils n’ont pas d’autres alternatives. Ce secteur regorge d’apprentis, de diplômés et même de fonctionnaires. En effet, les jeunes ruraux ne trouvant pas de travail dans la capitale, ils se procurent une moto soit par un système classique « work and pay », soit avec leur propre moto, soit en l’empruntant pour un travail journalier. Le système « work and pay » est un système au bout duquel le conducteur devient propriétaire de la moto après avoir versé une certaine somme fixée au début du contrat avec le responsable de l’achat de la moto. Oui ! Il y a un contrat en bonne et due forme mais quelles sont les conditions de ce travail presque suranné ?

  1. Les conditions de travail des « Zem »

Les conditions de travail d’un « zem » sont presque de l’ordre de l’aliénation. Se lever très tôt le matin afin de pouvoir trouver les passagers et dormir à une heure pas possible de la nuit est un travail de titan. De plus, les voies sont presque détruites puisqu’ils utilisent plus les ruelles des maisons, qui sont de véritables nids de poules. Ils passent toute la journée sous le soleil et la pluie, cherchant coûte que coûte à trouver ce qu’il faut pour la journée. Et ne parlons pas des risques d’accident. Ces conducteurs sont de véritables « sauvages » ou plutôt « sauveurs » dans les embouteillages, au mépris du code de la route et des feux tricolores. D’autres font ces manœuvres au prix de leurs vies. Pour compenser les fatigues physiques, ces « zem » prennent des produits appelés communément « tramadol », causant parfois des complications physiologiques. En gros, ce travail est un véritable supplice. Dans ces conditions, pourquoi ne pas arrêter ?

Photo credit(2)  par Jean Luc
Photo credit(2) par Jean Luc

 

  1. Pourquoi ne pas arrêter le « Zem »

Plus facile à dire qu’à faire. La pauvreté de la couche vulnérable, le chômage grandissant, loin  de diminuer le « zem », contribuent à son développement. M. Kokou me disait  : « ce travail, c’est comme de l’opium […] dès qu’on y touche, on ne peut plus décrocher ». Ce secteur, telle une prison à ciel ouvert, embastille beaucoup de nos leaders, de nos génies, de nos futurs cadres et même de nos fonctionnaires. C’est un véritable « mal nécessaire » car il offre le confort présent à ceux qui l’exercent, ces milliers de sans-emplois laissés à leurs tristes sorts. Je comprends le sentiment de M. Kokou : Zem ; c’est une belle rebelle.

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Commentaires

Kany
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Intéressant !

Inconnu
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Merci Kany,Content de partager cette réalité avec toi.

paul
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Interressant

Inconnu
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Thanks